mardi 21 juillet 2015

Vikash Dhorasoo: “Perdre un match ne signifie pas qu’on l’a raté”

A lire et à méditer ...

Ex-footballeur international français, deux fois champion de France, il est à l’origine du collectif Tatane, qui défend un football populaire, joyeux et durable « comme une splendide défaite ».
« J’en ai raté des matchs ! Mais il m’est arrivé d’en rater sans passer à côté. Je m’explique. J’ai échoué contre des équipes plus fortes que moi ou que la mienne. À la différence des sports individuels, le football laisse la possibilité d’être mis en échec par un adversaire. Un sprinter n’a personne en face de lui qui essaie de l’empêcher. S’il rate son coup, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Au foot, on a beau bien jouer, si l’adversaire est meilleur, il prend le dessus et on perd. On peut pourtant avoir mené un bon jeu, avoir été très présent, voire décisif. Si bien que perdre ne signifie pas passer à côté de son match ; inversement, gagner ne signifie pas automatiquement ne pas passer à côté d’un match. J’ai ainsi eu le sentiment, parfois, d’être ailleurs, indépendamment de mes performances, d’errer littéralement sur le terrain, notamment lorsque je jouais au Parc des Princes, pour le Paris-Saint-Germain, dans ce stade qui m’inhibait et me stressait. Il m’est arrivé de sentir que mes coéquipiers n’avaient plus confiance en moi, qu’ils n’avaient plus envie de me passer la balle ou qu’ils m’évitaient d’une certaine manière. Rétrospectivement, je peux même dire que je suis complètement passé à côté de cette saison ! Ce décalage provient aussi de l’extérieur, comme lorsqu’on a l’impression de remplir son rôle, d’appliquer les consignes et la stratégie, sans savoir que l’entraîneur attend tout autre chose. En fait, pour ne pas passer à côté d’un match, d’un tournoi, d’une saison… il faut apprendre à jouer avec les attentes de l’entraîneur, avec celles des coéquipiers et avec les siennes, et à relativiser beaucoup.
Un exemple : au Milan AC, j’ai dû jouer comme arrière latéral, à un poste qui ne me convenait pas. Dans les premiers temps, je n’étais vraiment pas satisfait. J’ai fini par raisonner autrement. Plutôt que de me plaindre, j’ai pris conscience que je jouais dans l’une des meilleures équipes du monde et que je n’étais pas sur le banc de touche. J’ai trouvé là une telle source de motivation que j’ai fini par réaliser une bonne saison à un poste que pourtant je n’aimais pas. J’ai aussi vécu suffisamment de moments de joie pour avoir une carrière heureuse. Contre Anderlecht, en coupe d’Europe, je me souviens d’avoir eu la sensation de voler, de planer. Tout ce que j’entreprenais, je le réussissais. Physiquement, je me sentais parfaitement bien, sans fatigue du début à la fin de la rencontre. Je ne “pensais” plus, pris dans une forme de plénitude, où la concentration était totale, sans réflexion qui vienne me perturber, léger. J’interceptais tous les ballons, je les relançais. Magique !
Si j’étais entraîneur aujourd’hui, [...] j’insisterais sur ce que je défends aujourd’hui à travers le collectif Tatane, à savoir que, dans le sport, perdre est une donnée de départ – plus encore dans le football où la réussite ne tient pas à grand-chose. La défaite doit être dédramatisée et la victoire relativisée. Souvenons-nous qu’avant d’être un sport de haut niveau, où les équipes les plus riches gagnent, le foot crée un lien social, festif. Alors qu’on soit bien d’accord : passer à côté d’un match, ce n’est évidemment pas passer à côté de sa vie ! »

Philomag N° 91

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